C.

C. Le contexte historique en France à partir de 1789 à la fin du XXéme siècle

C’est que c’est aussi en fonction de la différence de contexte historique que le rire évolue au fil du temps même si il reste un moyen persuasif, puissant et violent d’exprimer ses opinions et convictions politiques.
En effet on remarque que le rire après la Révolution de 1789 trouve un nouveau moyen d’émanation avec l’utilisation de la caricature. Avec la proclamation de la liberté de la presse, à la fin d’août 1789, la caricature envahit littéralement Paris et les grandes villes françaises. On peut s’apercevoir que les différents groupes sociaux comme l’Aristocratie ou le Clergé sont critiqués par ces dessins commentés et perdent ainsi leur influence morale, politique et sociale. Les fonctions essentielles de la caricature révolutionnaire sont la désacralisation*, l’abaissement des anciennes valeurs et des anciennes idoles. La caricature, c’est la destruction des idoles par le rire, leur réduction à l’état de pantins. Par exemple le pantin Louis XVI est devenu roi de carnaval, roi impuissant, roi goinfre et buveur.


Quant aux caricatures contre le clergé, elles montrent des moines, des abbés, des évêques dans des postures les plus indécentes et les plus obscènes. Il y a une exagération des traits physiques, avec fréquemment l’utilisation de la figuration animale. L’âne et le porc sont à l’honneur dans les mascarades antireligieuses.
Ces dessins d’un genre nouveau ne sont pas des œuvres si anodines et si naïves. En effet si les dessinateurs utilisaient des éléments populaires, des thèmes carnavalesques et de mascarades, c’était afin de toucher un large public, comprenant des artisans, des ouvriers illettrés et même de riches paysans. Cette sorte d’écriture parlée et colorée convenait à merveille aux illettrés, et est devenu une arme de propagande très efficace auprès des révolutionnaires. La caricature au XVIIIème siècle est l’aspect visuel du rire de désacralisation. Elle fait ressentir le ridicule de la comédie politique et sociale, la caricature nargue l’orgueil humain par le rire.

Au début du XIXème siècle (de 1820 à 1850 en France) on voit apparaître un nouveau courant littéraire qui est le « romantisme ». A l’époque du romantisme les usages du rire sont variés. Mais le plus souvent ils sont tristes, et toujours ironiques*. Car l’emploi de l’ironie pour cette génération est le mode essentiel de relation entre l’homme et le monde. Puis le rire romantique, c’est aussi une sorte de consolation de l’homme qui est prisonnier d’un monde qu’il persiste à aimer, malgré toute cette destruction qu’il subit avec d’insécables guerres de possession territorial, de pouvoir ou de prestige. Le monde est misère, souffrance, chaos et l’on ne peut y échapper. Les romantiques se sont alors rendus compte que le rire protège contre l’angoisse de la fin, de la mort, le rire est joie. Ils se sont alors demandé que faire contre cette fin inévitable qui approche : rire ou perdre la face ?

Une des icônes de ce courant, Chateaubriand (1768-1848), s’intéresse bien au grand mystère de la mort, notamment avec l’image des dents de la mort et de son sourire agressif qui semble nous inviter à rire de la vie « De quoi ricanent-elles ? Du néant ou de la vie ? ».

Donc au début du XIXème siècle grâce au courant littéraire du romantisme, le rire évolue de façon plus intellectuel. En effet, le rire romantique fait face à la peur de la fin de vie, fait face au mystère de la mort en acceptant d’en rire.
Nous en arrivons à la deuxième partie du XIXème siècle où le rire connaît un changement majeur, en effet le rire qui auparavant servait comme une arme politique ou comme un moyen d’acceptation de la mort, sert désormais comme critique de la population .
On peut le constater avec une pièce d’Alfred Jarry qui est « Ubu roi ». Le contexte de la pièce est en Pologne où Ubu, ancien roi d’Aragon et capitaine des dragons, jouit d’une haute situation et de la faveur du roi. Mais sa femme, la Mère Ubu, n’est pas satisfaite de ce rang : elle aspire au trône et, réussit à convaincre son mari en évoquant les « andouilles » qu’il pourrait manger en s’enrichissant. Ubu décide alors de monter une conspiration avec le vaillant capitaine Bordure.

Lorsqu’Alfred Jarry présente Ubu roi en 1896, il anticipe sur ce qu’allait être l’exercice du pouvoir livré à la médiocrité du XXème siècle. En effet il conçoit sa pièce de façon à ce que le public s’y voie comme dans un miroir, avec tout son grotesque, sa vanité, sa vulgarité et sa bêtise. La pièce fait donc scandale, le public n’a pas apprécié. Jarry rétorquera que « ce n’est pas étonnant que le public ait été stupéfait à la vue de son double ignoble qui ne lui avait pas encore été présenté ». On notera que un siècle plus tard, Ubu qui provoquait la colère, fait rire. Entre les deux, il y a quelques générations qui ont perdu peu à peu leurs illusions. On est passé du sérieux à la dérision. Le théâtre de Jarry a montré ce qu’est un monde insensé, où tout tourne à vide, où rien n’a de sens précis. Ce nouveau rire, qu’on nommera le rire moderne témoigne du refus de nous réfugier dans des croyances pour combler nos désirs et donc apaiser nos angoisses.

Ce rire moderne, le théâtre est particulièrement apte à l’exprimer : plus encore qu’autrefois, le théâtre et la vie ont en effet tendance à se confondre. « Le monde entier est une scène », avait dit Shakespeare, et cela vaut plus que jamais au XXème siècle. Nous somme tous des comédiens jouant un rôle, et les comédiens jouent la vie avec parfois plus de convictions que nous n’en mettons dans l’existence « réelle ».
Et le théâtre étant à l’image de la vie, reflète donc la grande évolution accomplie au XXème siècle, qui a vu le rire envahir progressivement tous les domaines et se mêler intimement à toute l’existence, sous la forme d’une dérision.

Le XXème siècle a été le siècle du cinéma ; et le cinéma, c’est le triomphe de la dérision. Ce succès du cinéma n’est pas dû qu’à la création de bons films comiques, mais plus profondément, à sa structure même. En effet on constate avec aberration comment les Hommes se pressent dans des salles obscures pour regarder avec empressement des images et des histoires dont chacun sait qu’elles sont totalement factices, truqués et imaginés. Tout cela pour s’émouvoir devant des virtualités, qui dans la vrai vie, dans la vie réelle, les feraient fuir ou bien les laisseraient indifférents. C’est que le cinéma lui apporte le nécessaire détachement à l’égard du monde, et ainsi qui lui permet de jouir pleinement de ses propres émotions. La peur y est agréable, les larmes douces, et le rire total. Avec cette prise de distance par rapport à la vie, le cinéma réalise donc les conditions idéales du rire, qui résulte toujours du constat d’un écart, à l’égard de soi comme à l’égard des autres. Le rire y est donc plus pur, l’illusion y est plus complète qu’à la lecture ou au théâtre. On peut dire que c’est le cinéma qui a montré que l’on pouvait rire de tout, et que tout avait un aspect risible : la misère, la guerre, la dictature, la gloire, la mort, la déportation, le travail, le chômage, le sacré.

Nous pouvons constater que le cinéma arrive à faire rire sur un développement d’un thème qui ne plaît généralement pas aux mœurs, ou au régime en place. On peut prendre comme exemple un des films de Charlie Chaplin Le Dictateur qui traite de la discrimination contre les juifs en mettant en scène un barbier un ancien soldat dit « Schultz » qui est le sosie d’Anenoid Hynkel, le dictateur de la Tomanie qui impose ces discriminations. Et lors d’une rafle, alors que la Tomanie envahit l’Österlich, Hynkel et le barbier sont confondus. Cela contraint le barbier à improviser un mémorable discours à la radio. Toute cette mise en scène, cette histoire fictive n’est basée en réalité que sur le régime nazi qui se propage en 1939 dans l’Europe centrale et de l’Ouest. Ce film critique de façon humoristique ce régime totalitaire qui envahit l’Europe en 1940, et en particulier les idéaux du Führer qui n’est autre qu’Adolf Hitler. Mais cette critique à travers une œuvre cinématographique se sert du rire, de l’humour pour faire comprendre et réaliser au public l’atrocité de la discrimination raciale et de ses conséquences.

Charlie Chaplin dans sa propre production : Le dictateur, interprétant cette fameuse scène du discours à la radio.